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Californie

Amboy, ex-âme des «fifties»

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La ville oubliée du désert américain a été achetée en 2005 par un millionnaire à la tête d’une chaîne de fast-food. Une renaissance lente à l’image de celle du Roy’s, motel et station-service culte, dont le néon, hors service depuis 1972, illumine à nouveau la Route 66.
L’enseigne du Roy’s qui fonctionne à nouveau depuis novembre et que l’on a pu voir dans «The Hitcher» (Robert Harmon, 1986) ou dans «Kalifornia», avec Brad Pitt (1993). (Photo Katie Callan pour Libération)
publié le 31 janvier 2020 à 17h06

C'est un fantasme de Californie routière qui a tutoyé la mort. A Amboy, bled oublié du désert de Mojave à deux heures de route au sud de Las Vegas et trois de Los Angeles, le Roy's Motel Cafe (1), avec sa flèche de néon de 20 mètres de haut, est en train de renaître de ses cendres de rouille. Grâce à un nouveau propriétaire qui le restaure pas à pas et vient d'en refaire fonctionner la mythique enseigne en néon digne d'American Graffiti, l'ex-motel-station-service ressuscite après s'être imaginé mourant seul au bord de cette Route 66 qui lui avait tout donné jusqu'en 1972 et la construction de cette satanée autoroute 40, à quelques kilomètres au nord, faisant péricliter son business en une nuit, puis déserter la ville et fermer son école. Une cité fantôme comme les Etats-Unis en ont vu naître et mourir des milliers.

Mais Roy's a tenu, et la curiosité de se porter au chevet du convalescent étant trop forte, direction Amboy, pour une halte d'une journée à la découverte des singularités de ce bled de quatre habitants. Cette ville - fondée en 1858 et qui compta jusqu'à 700 habitants dans les années 50 - est la seule ponctuation entre Needles et Barstow, dans une mer d'aridité rose-beige piquée de quelques collines meringue chocolat. Appuyant la métaphore maritime, une série de panneaux de signalisation involontairement pleins de poésie mettent en garde contre les «sables dérivants» («drifting sand») alors que se dessine au loin la flèche de néon érigée en 1959, celle qui sut parfois titiller Hollywood, apparaissant dans The Hitcher (de Robert Harmon en 1986), Kalifornia avec Brad Pitt (1993), le flippant Southbound (de Roxanne Benjamin et David Bruckner, 2015), des clips du groupe local de desert rock starifié Queens of the Stone Age ou, plus surprenant, d'Enrique Iglesias.

Chicano

Voici donc Roy's, ce nulle part où adorait venir atterrir Harrison Ford dans son petit avion quand il avait besoin d'un break à l'écart de Hollywood. La station-service est toujours là, fonctionnelle, avec ses pompes vintage à faire sangloter le brocanteur le plus blasé, et sa boutique aux tons beiges décorée de plaques d'immatriculation. Une cliente floridienne semble choquée par la désertification gastronomique : «Quand vous dites rien à manger, c'est vrai ? Pfff… Ça m'oblige à encore bouffer des beef jerky [viande fumée en sachet] Le prix de l'essence, historiquement prohibitif, y est en 2020 toujours aussi dissuasif. Un touriste se lance quand même : «Je ne fais pas le plein, rassure-t-il, c'est juste pour avoir un ticket de chez eux !»

Manny Lopez, l'un des quatre habitants d'Amboy.

Photo Katie Callan pour

Libération

Passé le préau, le Roy's Motel se dévoile en chef-d'œuvre d'architecture Googie, ce style futuriste caractéristique des années 50 et des commerces de service le long des autoroutes. La flèche rouge du néon pointe vers une Lincoln Continental abandonnée-là comme piège à instagrammeurs (il fonctionne) devant l'ancien lobby au toit asymétrique et les cinq cottages aujourd'hui ouverts aux quatre vents, colonisés ponctuellement par des artistes. Au fond, la partie motel est encore grillagée, sa cour mystérieusement parsemée de véhicules de la chaîne de fast-food mexicains Juan Pollo. Ce dernier mystère est vite résolu : la station-service vend une autobiographie du chicken man Albert Okura, self-made-man de 68 ans devenu millionnaire grâce à sa chaîne de rôtisserie donc, et propriétaire d'Amboy. Pas juste du motel, mais bien de toute la ville qu'il a achetée 425 000 dollars afin de la sauver, en 2005. Albert Okura est aussi le fier propriétaire du premier McDonald's au monde situé à San Bernardino, qu'il a transformé en musée. Possédé par sa mission de préservation, Okura se voit comme le dernier de ces grands aventuriers du désert exaltés : «C'était mon destin de construire cette ville, raconte-t-il. J'en contrôle la destinée, je n'arrive pas à y croire.»

De Roy's, il aimerait faire a minima des résidences d'artistes et un restaurant. Complexe pour l'instant sans eau courante ni électricité décente. Ses employés sont admiratifs. C'est le cas de Manny Lopez, biker chicano, fin de quarantaine, qui s'occupe ici à l'année de la maintenance entre deux bichonnages de sa Harley. Lui qui venait «de la ville», évacue-t-il vaguement, s'est pris de passion pour son micro-univers où il se passe finalement toujours quelque chose. «Rallumer l'enseigne en novembre 2019, ça a été un vrai événement dans le coin. Il y a même un biker qui est venu exprès de Santa Barbara qui est à quatre heures de route !» Jamais avare d'anecdotes, Manny raconte à l'envi comment, il y a quelques années, un avion à court d'essence et transportant de l'herbe avait dû se débarrasser de sa cargaison en vol, inondant Amboy.

Coulées noires

En attendant la renaissance totale du Roy's, les journées d'Amboy, au son des passages réguliers de convois de marchandises, sont pimentées de visites incongrues, comme ce shooting improvisé de touristes japonais au style vestimentaire flamboyant qui squattent la moto de Manny quand il a le dos tourné. Pour les curieux enamourés par cette magie du rien, la parenthèse Amboy peut s'étirer un peu en poussant la porte de la Poste où s'occupe comme il le peut un Kevin pragmatique. Fan d'extraterrestres et de bizarreries du désert, le quadragénaire avoue : «Monsieur Okura voulait conserver un code postal pour les GPS, alors il garde la Poste.»

Pour poursuivre la balade dans les alentours immédiats, il y a les salines (toujours exploitées) au sud du motel, avec promesse d'eau couleur turquoise dont les bassins offrent de saisissantes tranchées de miroir sur l'épiderme du désert. Les moins pressés s'aventureront vers le cône noir de 78 mètres de haut du Amboy Crater, volcan éteint, visible à des dizaines de kilomètres, dont les traînées de lave basaltique ont zébré le paysage de coulées noires. Situé à cinq minutes de route de la ville, attention toutefois à bien calculer son coup pour en redescendre à temps : le soleil se couche vite et, depuis novembre, chaque crépuscule est un spectacle… Cérémonieusement, Manny Lopez illumine chaque soir l'enseigne du Roy's et, immanquablement, c'est l'heure où débarquent les photographes et leurs trépieds pour immortaliser ce petit reste d'Amérique happy days. Une belle victoire pour Albert Okura qui concluait, modeste, en 2016 dans le Las Vegas Review Journal : «Je n'avais pas prévu de devenir conservateur de patrimoine. Cela s'est fait tout seul.»

(1) 87520 National Trails Hwy. Rens. : Visitamboy.com.

Boui-boui et musée déglingué

Y voir aussi Salines, l e long d'Amboy Road, en direction de Joshua Tree National Park.

Cratère d'Amboy : indiqué depuis le Roy's Motel, à environ cinq minutes de voiture. Prévoir deux heures pour accéder au sommet.

Glass Outhouse Art Gallery, un musée déglingue gratuit en plein air tenu par une mamie punk à cheveux bleus. 77575 Highway 62, Twentynine Palms.

Y dormir

Dans la ville la plus proche, le 29 Palms Inn, 73950 Inn Ave, Twentynine Palms. Rens.: 29palmsinn.com.

Y manger

Kitchen in the Desert, cuisine américano-caribéenne à quarante-cinq minutes de voiture, en direction de Joshua Tree. 6427 Mesquite Ave, Twentynine Palms. Rens.: itcheninthedesert.com