Selon Plutarque, c’est ici, dans ces collines du massif de l’Etoile entre Aix et Marseille, qu’en 102 avant J.-C., Teutobochus fut battu et fait prisonnier par le général romain Caius Marius. Comme à l’époque déjà, les exagérations ne faisaient pas peur dans la région : on affirme que plus de 100 000 Teutons furent massacrés durant la bataille. La légende veut aussi que les guetteurs de Marius, quand ils virent, au fond de la nuit, briller un feu sur Sainte-Victoire, allumèrent un bûcher de broussailles : cet oiseau rouge vola alors de colline en colline, et se posant enfin sur la roche du Capitole, apprit à Rome que ses légions des Gaules avaient vaincu les barbares…
Désert de pierre
Si le paysage n’a guère changé depuis l’Antiquité, il faut avoir l’âme bien romanesque pour imaginer un champ de bataille dans le panorama bucolique qui nous entoure. Barres blanches, garrigues et pins, en ce week-end de fin mars, la nature n’est que lumière et silence. Alentour, alors qu’on a laissé Marseille derrière nous depuis quelque temps, un immense paysage en demi-cercle monte jusqu’au ciel : de noires pinèdes, séparées par des vallons, viennent mourir comme des vagues au pied des sommets rocheux. Des croupes de collines plus basses accompagnent notre chemin, qui serpente sur une crête entre deux vallons. Un grand oiseau noir, immobile, marque le milieu du ciel, et de toutes parts, comme d’une mer de musique, monte déjà la rumeur cuivrée des premières cigales.
Le village de La Treille
La balade a commencé peu avant l’ancien village de La Treille (à partir de l’autoroute, sortie La Penne-sur-Huveaune, puis direction La Valentine). L’horizon a longtemps été caché par les arbres qui bordent les lacets de la route puis on a découvert un petit village planté en haut d’une colline entre deux vallons : le paysage est fermé, à droite et à gauche, par deux à-pic de roches, que les Provençaux appellent des «barres».
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En fait de village, ce serait plutôt un hameau. De très petites fenêtres percent les murs épais. Il y a à gauche une esplanade bordée de platanes soutenue par un mur penché en arrière, qui doit bien faire 10 mètres de haut. A droite, c’est la rue. On dirait la rue principale, s’il y en avait une autre. Mais on n’y rencontre qu’une petite traverse, qui n’a que 10 mètres de long et qui trouve le moyen de faire un crochet à deux angles droits pour atteindre la place du village. Plus petite qu’une cour d’école, la placette est ombragée par un très vieux mûrier, au tronc creusé de profondes crevasses, et deux acacias : partis à la rencontre du soleil, ils essayent de dépasser le clocher. Au milieu de la place, la fontaine parle toute seule. Une conque de pierre vive, autour d’une stèle carrée d’où sort le tuyau de cuivre.
Garlaban
On ne s’attarde pas à La Treille (on fera une halte au retour pour y visiter le petit cimetière) et l’on se remet en route en prenant le chemin des Bellons. Continuer toujours tout droit, jusqu’à ce que le goudron finisse par disparaître. Après avoir dépassé un panneau explicatif du massif, suivre à gauche le chemin (tracé vert) et continuer la montée (1). Le sol ressemble à une immense dalle de calcaire bleuté, sillonnée de fentes toutes brodées de thym, de lavandes et d’aspic… De temps à autre, sortant de la pierre nue, un cade gothique ou un pin, dont le tronc, épais et noueux, contraste avec la petite taille de l’arbre, guère plus grand qu’un enfant. Poursuivre ainsi en montant jusqu’au col du Garlaban. Pour les plus vaillants, ascension possible jusqu’au sommet où se trouve une table d’orientation (vingt minutes aller-retour).
Le cimetière de La Treille.
Photo ANDBZ/ABACA
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Garlaban, point culminant de la balade et but de notre randonnée : c’est une énorme tour de roches bleues, plantée au bord du plan de l’Aigle, cet immense plateau rocheux qui domine la verte vallée de l’Huveaune. La tour est un peu plus large que haute, mais comme elle sort du rocher à 600 mètres d’altitude, elle monte très haut dans le ciel de Provence, et parfois un nuage blanc vient s’y reposer un moment. Ce n’est donc pas une montagne, mais ce n’est plus une colline…
De cette forteresse naturelle, tout le pays de Mistral, Daudet, Giono et Pagnol s'étend devant nous. On repense à Manon des sources, à Regain, à la Gloire de mon père… Et l'on ne serait pas étonné de voir dans le lointain un garçon de 12 ans hausser vers le ciel deux «petits poings sanglants d'où pendaient quatre ailes dorées en face du soleil couchant».
(1) Détail de la randonnée à retrouver sur le site Balade en Provence.
La semaine prochaine : une virée en canot sur la Tamise.