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Libération
Ma frontière bien aimée (3/36)

Sainte-Marie-de-Ré et tigibus

Souvenirs de passages de frontières, réelles, fictionnelles ou fantasmées. Il est toujours temps de rêver quand voyager devient compliqué.
(Illustration Christelle Causse)
publié le 20 juillet 2020 à 17h26

Officiellement, le village où j’ai grandi s’appelle Sainte-Marie-de-Ré, sur l’île de Ré. Le bourg, tout en longueur, ne fait qu’un, administrativement parlant. Officieusement, il a deux noms. Soit on vit à Sainte-Marie, soit à La Noue. Attention, ça n’a rien à voir. A Sainte-Marie, l’église, aussi belle que celle d’Ars mais sans la peinture en noir et blanc, la mairie, la médiathèque et la victoire symbolique. C’est Sainte-Marie qui a mangé le hameau de La Noue et pas l’inverse. Mais à La Noue, la mignonne place des Tilleuls, les plages où l’on peut se baigner et faire du surf (aux Grenettes), longtemps la meilleure boulangerie et les meilleurs restaurants (ça a changé), la microbrasserie, le camping où l’on trouve les plus joli·e·s touristes et, pour ceux qui étaient jeunes à la fin des années 90, la boîte de nuit. Chaque zone a ses commerces et l’on ne se mélange qu’au Carrefour Contact (que j’appelle encore Codec), pas très loin de la frontière informelle, à peu près au niveau de la statue de la Vierge.

A l'école primaire, dans la cour de récré, chacun revendiquait son appartenance. Si ce n'était pas aussi violent que Longeverne contre Velrans, dans la Guerre des boutons, c'était important. Jamais, oh non, je n'aurais embrassé une fille de La Noue. Et quand, enfant, je passais la limite invisible, surtout à travers les vignes pour arriver du côté de la chapelle Saint-Sauveur, un petit frisson me caressait le ventre : l'impression d'arriver en territoire ennemi, d'enfreindre une règle dont tous les adultes n'avaient (presque) rien à fiche. Grisant.