Profitant de cette belle invention qu’est le pass Interrail, qui mériterait un Nobel de la paix tant il a fait pour l’amitié et la découverte entre les peuples, j’avais entamé, étudiant, un tour de l’Europe de l’Est avec ma petite amie.
Sans nous soucier des prix et des horaires, nous sautions joyeusement d’un train à l’autre. La facilité de déplacement était déconcertante. Ce n’était pas des TGV (trop) modernes, plutôt des vieilles locomotives cahoteuses, dont les cliquetis irréguliers rappelaient leur grand âge. Les sièges étaient souvent défoncés ; toujours confortables. Les carrés fermés de six poussaient, pour passer les longues heures, à parler aux voyageurs inconnus et à partager le pain. Découvrir l’autre plutôt que détourner les yeux.
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Un soir, nous étions partis de la joyeuse Budapest, qui ne vivait pas encore sous le joug de Viktor Orbán, pour la mignonnette Prague, où il était à l’époque possible de dormir pour cinq euros et de marcher dans la rue sans trébucher sur un Anglais ivre. Le voyage prenait la nuit. Plutôt que de payer un supplément pour des couchettes, nous nous étions installés dans un carré isolé, par chance inoccupé. Qui n’a jamais voulu faire l’amour dans un train ? Le moment était idéal. Nous avons fêté joyeusement le passage entre la Slovaquie et la République tchèque, (ré) unissant symboliquement à travers nos corps les deux pays. Plus rien n’avait d’importance, à part, à ce moment-là, se déhancher en cœur, au rythme du tressautement des rails. Sans savoir, alors, que dans l’interstice des rideaux tirés, quelqu’un nous observait.