On ne parle plus guère de l'Europe centrale dans la presse. Cela veut-il dire que ces pays sont devenus «normaux», démocratiques et même un peu ennuyeux?
Après dix ans de transformations aussi radicales, et dans un laps de temps si court, il est difficile de parler de pays «normaux». Comment en effet survivre dans un environnement où tout est bouleversé: les institutions politiques, les relations humaines, les idées dominantes, les noms des rues, les marques des produits alimentaires? En Hongrie, au cours des dix dernières années, les deux tiers de la population active ont dû changer de travail. A Budapest, tous les magasins sans exception ont changé de nom, de vitrine, de propriétaire, de style... Tout, absolument tout, a changé. Les gens ont dû assimiler une centaine de nouveaux concepts: économie de marché, bourse, privatisation, inflation, chômage, immunité (des députés), etc. Imaginez qu'en France, on remplace brusquement le code Napoléon par un code de type anglo-saxon.
Je suis même étonné de la façon dont les gens ont supporté ce choc. Les premières années, ils ont développé une sorte de névrose. Puis ils ont appris à vivre dans le nouveau système; l'anxiété devant les nouvelles incertitudes a commencé à diminuer, alors qu'ils auraient pu devenir fous. Mais il n'y a pas eu de révolte et les mouvements de protestation sont restés limités. Comment expliquer cette sorte de passivité? D'abord, la société sortie du communisme était très atomisée: les gens n'ont pas pensé à s