Menu
Libération
Interview

La satire des médias ne fait plus de mal au pouvoir.

Article réservé aux abonnés
Jacques Bouveresse : philosophe, actualise la critique du journalisme menée par Karl Kraus au début du XXe siècle.
par Antoine de Baecque et Marc CERISUELO
publié le 4 août 2001 à 0h21
(mis à jour le 4 août 2001 à 0h21)

Comment avez-vous rencontré les textes de Karl Kraus (1874-1936), l'un des grands satiristes de langue allemande?

J'ai commencé à le lire dans les années 60. J'étais un passionné de la littérature allemande en général, et plus particulièrement de marginaux comme lui. Je n'ai évidemment pas lu son journal, Die Fackel («le Flambeau»), en entier (1). Il est paru au total 922 numéros, ce qui représente un texte de plus de 22 000 pages. Mais Kraus est un auteur auquel je n'ai jamais cessé de revenir. J'ai été au début tout à fait krausien. Puis, j'ai pris, comme beaucoup d'autres, une certaine distance par rapport à lui. Canetti fait partie de ceux qui ont rompu avec lui, en 1934, lorsqu'il s'est rallié au régime de Dollfuss, qu'il considérait comme la dernière chance de l'Autriche contre Hitler. Rétrospectivement, on peut dire qu'il avait sûrement raison de penser qu'il fallait s'opposer à Hitler par la force et non pas par la parole. Mais choisir pour cela le camp des austro-fascistes était une erreur et, en tout cas, une position qui n'avait aucune chance d'être comprise par ses amis de gauche et par les démocrates en général.

Et aujourd'hui, que pensez-vous de Kraus?

J'ai tendance à redevenir nettement plus krausien, non pas parce que je me sens plus proche de lui, au plan politique, mais à cause de l'analyse impitoyable et prémonitoire qu'il a donnée du phénomène des médias. Deux choses m'ont confirmé dans l'idée que la réalité d'aujourd'hui n