Dans votre dernier essai, A distance (1), vous vous interrogez sur «le point de vue en histoire». Pour un historien, que veut dire «être à la bonne distance»?
C'est une idée ambivalente. Car la «distance critique», celle qui permettrait le point de vue idéal, mélange d'ironie et d'implication, est sans cesse tenue entre deux pièges: la complicité et l'éloignement, la première impliquant une forme de collusion; la seconde, un aveuglement moral. Nombre d'intellectuels italiens, en ce moment, sont pris dans les mâchoires de ce piège qui se referment au présent: comment, par exemple, refuser le jeu trouble d'une libéralisation de la culture proposée par le pouvoir italien, tout en refusant tout autant l'isolement dans une tour d'ivoire... En fait, je n'ai pas d'a priori sur la bonne distance à trouver face aux événements du passé ou du présent. C'est une question qui peut évoluer selon le contexte: dans l'expression «distance critique», il y a deux termes en balance qui se complètent. A certains moments, c'est la distance qui doit prévaloir, parfois, c'est la critique. Ce sont des séries cycliques. Mais je pense que nous sommes de nouveau dans une ère de la critique.
Pour trouver cette juste «distance critique», vous utilisez la notion d'«estrangement»...
C'est une idée qui nous vient de Montaigne. Car je pense, fondamentalement, que comprendre c'est... ne pas comprendre. L'opacité que conserve un fait, un comportement, est le premier pas vers une compréhension plus profonde. Une t