Le peuple a presque disparu des discours contemporains. Il est remplacé par «le terrain», vague entité regroupant tous ceux dont nous ne sommes pas et qui représenterait à la fois une vérité et une menace. C'est vers lui que se tournent médias, sondeurs et politiques. On pourrait parler de la voix du terrain, la cause du terrain... Le terrain serait celui de prédilection des décideurs d'aujourd'hui. C'est là que le chantre de l'impunité zéro reçoit une petite punition, là qu'Elisabeth Guigou a du mal à être parachutée pour les législatives en s'assurant une bonne réception au sol. Le terrain est souverain, on a besoin de savoir ce qu'il pense. A Louis XVI demandant : «C'est une révolte ?», on répondrait désormais : «Non, sire, c'est le terrain.» Par une curiosité géologique, il peut être lui-même terreau de la violence. Il est aussi ce qu'on voit des tribunes, ce qu'on regarde avec des jumelles tant il est éloigné, un pur spectacle. Certes, on le magnifie prétendument, on envie des reporters de TF1 envoyés sur le terrain pour une enquête sur la prostitution, mais on a pourtant le sentiment que même les spéléologues doivent le regarder de haut.
Si le terrain se personnifie dans le micro-trottoir, il se sublime dans les sondages. C'est la grande question à laquelle ils doivent répondre : «Vers où penche le terrain ?» Plus que des scientifiques, les sondeurs nous apparaissent comme des éclaireurs, interprétant toutes les traces, toutes les pistes, comme des devins, des sourciers