Pierre Jacob est directeur de l'Institut Jean Nicod qui regroupe des chercheurs en sciences humaines et cognitives. Qu'est-ce que l'étude scientifique du cerveau peut apporter à la réflexion d'un philosophe qui s'intéresse à l'esprit et à la pensée ?
L'étude expérimentale des mécanismes et des capacités du système nerveux humain est essentielle à la compréhension de la «pensée» et de l'«esprit». Il n'y a pas de hiatus entre l'analyse conceptuelle de l'esprit ou de la pensée et l'étude expérimentale du cerveau. Je rejette le dualisme ontologique d'origine cartésienne entre les choses mentales et les choses physiques ou matérielles. Pour moi, les choses mentales sont des choses cérébrales et étudier le cerveau, c'est étudier la pensée. Si quelqu'un prétendait comprendre le chant des oiseaux sans étudier le cerveau des oiseaux, on lui rirait au nez.
Faut-il purement et simplement remplacer «pensée» par «décharge de neurones» ?
Non. D'une part, la division ontologique entre l'esprit et la matière tire une partie de sa plausibilité du fait que les mots «esprit» et «pensée» ne désignent aucune activité mentale spécifique. Tant que ces mots seront utilisés pour désigner un pouvoir global et mystérieux, dont seuls les êtres humains et Dieu seraient capables, la séparation ontologique entre pensée et matière paraîtra inévitable. D'autre part, les sciences cognitives des vingt dernières années suggèrent que le cerveau humain a une architecture «modulaire» : il est comme un couteau suisse