C'est une photo parue dans Libération du 10 octobre pour accompagner la critique d'un roman de l'écrivain allemand Christoph Hein (Dès le tout début, Ed. Métailié) consacré à sa jeunesse en Allemagne de l'Est. La légende dit : «RDA avant le dégel.» Or, sur cette image, une famille d'êtres humains mange des glaces. Est-ce à croire que ces Allemands de l'Est anticipaient à coups de langue la fonte du bloc communiste ? La photo date (1975). Mais les vêtements d'époque (chemisier en plastique pour elle, polo bouliste pour lui) pourraient être d'aujourd'hui. On sait en effet que suite à un féroce tour de mode, toujours avide de s'amuser avec la pauvreté des autres, la fin des années 90 vit les hardes des pays de l'Est recyclés par l'Ouest en un style de luxe célébrant la rayure marron caca-orange pisseux et exaltant les imprimés papiers peints fleuris. Du coup, quelle mélancolie. L'action se situe à Rügen, grande île sur la Baltique qui servait de récompense vacancière aux prolétaires méritants de la République démocratique allemande. On imagine sans peine l'ennui, la résignation (le camarade Honecker régnait), la promesse de bonheur se résumant au goût incertain des glaces à parfum unique. Pourtant, dans ce cafard, quelques détails résistent. Par exemple, la coiffure du jeune papa, certes bien peignée mais d'une longueur communistiquement hétérodoxe. Ou encore, à ses côtés, les deux enfants blonds (filles ou garçons ? Hänsel et Gretel ?) dont la gémellité autorise des fantasmes