On scrute cette image phénoménale publiée à la une de Libération le 28 octobre. On la croit rêveuse, on dirait une photo d'archive exhumée de la tournée américaine des Sex Pistols : Sid Vicious en redescente asthénique après un concert halluciné. A la lire de plus près, on pense aussi à des fragments du Dormeur du val : «Bouche ouverte, tête nue, il dort...», «Souriant comme sourirait un enfant malade, il fait un somme...» Et surtout les trois derniers vers du poème de Rimbaud écrit en octobre 1870 : «Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; / Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine / Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.» Sauf que ce n'est pas de la poésie et encore moins un conte extrait de la fabuleuse histoire du rock'n'roll : aucun prince charmant, aucune fée électricité ne viendra secouer et réveiller cet endormi. Ce jeune homme exagérément renversé sur le fauteuil d'un autobus est un enfant de la Russie, un parmi les 117 que Vladimir Poutine a fait gazer pour l'honneur. C'est cette image d'épouvante que les chefs d'Etat des grandes nations occidentales, entre autres notre Chirac, en congratulant le président russe pour son action efficace, ont décidé de féliciter. A croire qu'ils n'ont vu ni ce jeune homme, ni ces femmes du commando tchétchène, saisies sur les fauteuils du théâtre de la mort dans la même position de fausse somnolence. A croire qu'ils ne veulent pas voir, Bush, Blair et confrères, comme ils ferment les yeux depuis des années s
«Bouche ouverte, tête nue, il dort»
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par Gérard Lefort
publié le 2 novembre 2002 à 1h38
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