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Libération

Dérive vers l'innommable

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par Anouar BENMALEK
publié le 7 décembre 2002 à 2h02

Samedi

Exactions et tortures

Je regarde le gros tas des premières épreuves du livre avec un peu de découragement : elles sont, évidemment, à remettre lundi. Un autre café pour retarder le supplice, puis je me plonge dans le travail.

Ce livre est un recueil de chroniques sur l'Algérie, la plupart écrites entre 1985 et 2002 pour des hebdomadaires algériens. A chaque fois, en les relisant, la même interrogation m'assaille : quand est-ce que tout cela s'est réellement passé ? Je veux dire : quand est-ce que, dans mon pays, une partie de mes concitoyens a estimé que le meurtre d'autres concitoyens, pour telle et telle raison, était devenu «normal», sinon «moral» ?

Je relis les chroniques réunies ici le coeur lourd. J'y retrouve bien sûr les grandes dates de cette dérive vers l'innommable. La première date, paradoxalement lumineuse malgré son désespoir, est celle de la révolte des jeunes en octobre 1988, et le cortège qui l'a suivie d'impitoyable répression, d'exactions et de torture par les services de sécurité et l'armée.

La seconde grande date est celle du premier tour des premières élections législatives pluralistes en Algérie, en décembre 1991. Elle marquera le début de la transformation de ce pays, autrefois source de fierté pour son combat contre le colonialisme, en une contrée, au moins pour un temps, de barbarie absolue, à l'égal de l'Allemagne nazie, du Cambodge des Khmers rouges ou du Rwanda.

Quand je relis les premières chroniques d'après les émeutes de 1988, je discerne, à