Cette photo, parue dans Libération le 12 février, a été prise le 11 septembre 2001, quelque temps (heure ? minute ?) après l'écroulement des tours du World Trade Center. Si on la feuillette à la va-vite, on peut croire que les corps déchiquetés et décapités qui y figurent sont des corps humains. Mais non. Ce sont des mannequins pulvérisés par le souffle de l'effondrement dans quelques boutiques situées à proximité des tours. Cette vision contrariée de faux cadavres fait froid dans le dos puisqu'on sait que, par un effet d'omertà unique dans l'histoire des médias américains, aucun corps réel n'a été montré, bien que, on le sait aujourd'hui, ils aient été abondamment filmés ou photographiés. Ce qui eut pour effet de rendre les attentats du 11 septembre à la fois abstraits et symboliques. Cachez ce sang que je ne saurais voir. Un deuil sans cadavre, autant dire un manque qui, aujourd'hui, justifierait que l'Amérique, en Irak ou ailleurs, se venge violemment, avec cette fois grand risque de cadavres bien réels.
Mais cette photo exhale aussi un autre parfum, nettement plus nauséeux. Dans les heures qui ont suivi les attentats, quelques journalistes présents sur place firent état de pillages dans le quartier du World Trade Center qui regorgeait en effet de commerce de luxe pour les yuppies qui y travaillaient. On voit sur cette photo prise dans un magasin de vêtements pour hommes que, bien que recouverts de poussière, des chemises sont toujours rangées sur les étagères, les vestes