Une image (publiée dans le cahier Livres de Libération du 15 mai) suffit pour rappeler que la photographie est une vieille invention qui ne s'est jamais complètement départie des modèles dont elle vient : la représentation réaliste et, en l'espèce, l'art du portrait. Ici, un peu du corps de Paul Gauguin probablement cadré vers la fin de sa vie (le peintre meurt en 1903). Son auteur est anonyme, mais on détecte une signature singulière dans la composition du «tableau». Très peu de fond et, partant, une saturation de l'espace par le sujet censément peignant. Car l'artiste pose avec ses deux atouts majeurs, le pinceau et la palette. Académisme. Mais contrariée ici par la vêture du maître, qui ne coïncide pas avec l'icône d'époque de l'artiste-peintre en lavallière et faluche. De quel ciel est tombée cette toque en astrakan qui confère à Gauguin une allure d'Europe centrale ? Et cette cape à gros brandebourgs jetée sur ses épaules ? Un emprunt à quelque paysan des environs
de Pont-Aven ? Un accessoire rapporté des îles Marquises où cependant il fait très chaud ? Voilà ce qui intrigue : sur cette photo, Paul Gauguin est emmitouflé, Paul Gauguin a froid. Ce qui ne colle ni avec les couleurs chaudes dont il satura sa vision de la campagne bretonne, ni avec ses fameuses Tahitiennes exotiques, elles aussi en aplats polychromes. C'est encore plus simple : On n'imagine pas Gauguin en noir et blanc atone quand on ne connaît de lui que des autoportraits où les couleurs aboient. Et ce visa