Par un télescopage d'images dont l'actualité a le secret, deux photos publiées cette semaine dans Libération (le 17 et le 19 juin) entrent en rapport. Dans les deux cas, un homme court. Celui qu'on voit à gauche est un jeune Berlinois tentant d'échapper le 17 juin 1953 aux chars soviétiques expédiés pour écraser la révolte des ouvriers est-allemands. L'autre, à droite, qu'il est impossible de regarder longtemps, est un Iranien qui s'est immolé par le feu le 18 juin 2003 près du siège de la DST à Paris pour protester contre l'arrestation de quelques «moudjahidin du peuple». Comme l'Allemand court vers la droite de son image et l'Iranien vers la gauche, on peut imaginer à cinquante ans d'écart que les deux hommes pourraient se croiser, sinon se heurter. Ce qui frappe sur la photo de l'Iranien : le second plan, l'homme au volant de son auto, qui pourrait être nous, et qui ne sait pas encore l'épouvante qui est en train de le dépasser. Ce qui est manifeste sur la photo de gauche : le second plan aussi, Berlin, aux alentours de la porte de Brandebourg, toujours en ruines huit ans après la fin de la guerre. D'une image, l'autre, c'est l'arrière-monde qui nous assaille. Ce qu'on imagine, à gauche, de la ville natale du nazisme, capitale maudite. Ce qu'on suppute, à droite, de l'irruption d'une singularité effroyable dans la banalité urbaine (les embouteillages, rendus encore plus pénibles par la canicule) qui fait que ce jour-là, à tous points de vue, il faisait spécialement chaud
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