Si l'on suspend un instant le texte accompagnant cette photographie publiée dans Libération le 10 septembre, on pourrait imaginer à la scruter beaucoup de jolies choses. Que cette jeune fille en bikini est comme une starlette italienne des années 50 en instance de devenir diva à l'instar des Gina, Sophia et autres Lucia. Ou encore que sa beauté est comme le métissage de quelques actrices contemporaines qu'on aime : Maria de Medeiros, Mireille Perrier, Dominique Blanc. Et enfin que cette photo pas très nette, plongée dans une semi-obscurité qui ombre une partie du corps et la moitié du visage, est à ce titre une photo d'amateur, un cliché de famille, prise par un homme sûrement puisque du désir la hante. Sur la plage des vacances, statufiée par la lumière de l'été, une fiancée idéale autant qu'une mère rêvée, telle qu'elle devrait être l'année de notre naissance : jeune, sportive, heureuse et belle.
Mais la légende joue ici son double jeu habituel : récit fabuleux en effet, mais aussi texte d'information qui donne à ce portrait son sens et sonne le glas de toute divagation. Elle s'appelle Nilda Peña, elle est chilienne, étudiante, elle a 23 ans en 1973, au moment du putsch qui élimina Allende et elle n'aura jamais d'avenir puisque, le 10 décembre 1974, les flics de Pinochet l'arrêtent au prétexte qu'elle est militante du Mouvement de la gauche révolutionnaire et la font disparaître à jamais. Nous voilà noué et un rien gêné d'avoir fomenté à son endroit du bonheur et du plaisir