Avant même de savoir quoi que ce soit de cette photo de cuisine, et notamment ce qu'elle venait faire dans le cahier Livres qui n'était pas consacré cette semaine à Ginette Mathiot, immarcescible auteur de Je sais cuisiner, on sait qu'elle ne date pas d'aujourd'hui mais d'avant-hier, rapport à la désuétude de ses accessoires ménagers.
Prudence, cependant : l'image pourrait être d'aujourd'hui, à l'heure où les «ambianceurs» de cuisines exaltent tant le chaudron rouillé à l'ancienne que les poêles qui attachent de nouveau ou la table bancale en bois non traité livrée avec son sachet de vrais termites (en option, pour la glacière : le spray à salmonelle).
Mais l'allure des deux dames laisse moins de doute. De fait, voilà bien Sylvia Beach et Adrienne Monnier, libraires et éditrices (entre autres de Joyce), et, à ce titre, figures du monde littéraire parisien de l'entre-deux-guerres. Mais ici, c'est l'immédiat après-guerre. Ce que dit aussi la photo, si on fait attention que sous le rouleau à pâtisserie de Sylvia, la pâte manque. Avec des yeux radiographiques balayant le décor, on dénicherait sûrement des tickets de rationnement. Cette pénurie a cependant l'air de faire rire Adrienne et Sylvia. Cette dernière aurait même écrit au dos de la photo : «Nothing to cook !» Un humour qui au passage contrarie l'idéologie benoîte du «c'était mieux autrefois». Ce n'était jamais mieux autrefois. Surtout quand il n'y avait rien à manger.
Comme il y a de la littérature dans le secteur, d'une cu