Pour quelle raison parlez-vous d'un «marché aux langues» ? C'est une métaphore qui permet de comprendre les valeurs respectives des langues du monde. Je suis parti d'une constatation : la monnaie la plus forte, le dollar, va avec la langue véhiculaire dominante qu'est l'anglais. Si on garde cette métaphore monétaire, on voit qu'il y a une tendance à la baisse des langues maternelles et une tendance à la hausse des langues véhiculaires, les langues d'Etat et de groupes d'Etats. De même que le dollar, l'euro ou le yen permettent d'acheter n'importe quelle monnaie, l'anglais permet de communiquer à peu près dans n'importe quel pays, contrairement à d'autres langues, qui ne sont parlées que par une communauté restreinte. On peut ajouter que c'est une loi du marché qui s'impose, pas une loi culturelle. On n'apprend pas l'anglais parce que c'est la langue de Shakespeare, mais parce que c'est celle de l'économie américaine.
Peut-on briser ce lien entre langues et loi du marché ? Et, d'une manière générale, peut-on, et doit-on, intervenir sur les langues ? Qu'on le puisse, certainement. Il y a des exemples célèbres, comme la modernisation du turc (remplacement de l'alphabet arabe par l'alphabet latin plus adapté au système phonétique turc, suppression des tournures grammaticales arabo-persanes... par Mustapha Kemal dans les années 1920). Qu'on le doive ? Parfois, à condition d'avoir un contrôle démocratique. Les langues appartiennent à ceux qui les parlent, pas aux Etats. Il faut po