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Libération

Couleurs tranchées

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publié le 15 novembre 2003 à 1h53

A quelques détails près dans leur fourniment, ces soldats noirs pourraient être d'aujourd'hui, engagés dans une des tueries actuellement en cours sur le continent africain. Pourtant la légende accompagnant cette photo l'atteste indubitablement : ce portrait de groupe a été réalisé le 16 juin 1917 en Alsace. Ce serait donc la couleur (l'image a été publiée comme telle dans Libération le 11 novembre) qui instille cette proximité. Plus le temps passe, plus les cataclysmes du XXe siècle s'éloignent, plus on voit surgir de ces clichés polychromes. Ce qui rappelle que l'invention de la photographie en couleur a été précoce (le procédé autochrome des frères Lumière date de 1903). Ce qui par ricochet intrigue, car on ne connaît majoritairement desdits événements catastrophiques que des photos en noir et blanc. Comme si l'archive photographique n'accédait à son essence de document sérieux qu'à condition d'échapper aux couleurs. Le noir et blanc serait digne, quasiment aristo-artistique, tandis que la couleur salirait tout. Pourquoi cette dévaluation ? Quel est le danger ? Certes, le choc n'est pas ici aussi violent que lorsqu'on a découvert des images en couleurs des camps de concentration prises à leur libération par des photographes des armées alliées. Mais l'effet d'intimité est le même. Ces quatre tirailleurs sénégalais, ces quatre soldats isolés par la photographie parmi les milliers d'indigènes importés de l'Empire français pour participer à une boucherie qui n'était pas la leu