Samedi
Le début
Je suis né un 22 novembre sous occupation soviétique, et mes papiers de naissance sont donc en russe. Puis Hitler attaqua son collègue de vingt et un mois, Staline, et la première bombe qui tomba sur Lwów me souffla la moitié du visage. Vint ensuite l'occupation allemande, et Lwów fut peu à peu annihilée couche par couche, les fous, les Gitans, les Juifs, les Polonais pour faire place à la colonisation nazie. Mon père survécut. Intello, et donc ne sachant rien faire de ses dix doigts, il fit de la Résistance. A suffisamment haut niveau pour obtenir, par les réseaux clandestins, un poste de nourrisseur de poux enragés du typhus. Les poux ne mangent que du sang humain, et mon père les nourrissait du sien. On tuait les poux bien dodus, enfiévrés et rouges comme des rubis, dont on extrayait les tripes pour en faire un vaccin. Afin que les poux engraissent, il fallait aussi nourrir les nourriciers. Mon père recevait des cartes de rationnement, mais nous étions quatre à la maison. Ma petite soeur n'a pas tenu, elle est morte de faim, et de froid. J'étais plus âgé, donc plus costaud. Quand j'ai pensé écrire mon premier film, je l'ai voulu sur ce temps-là. Le début. J'ai alors demandé à mes parents pourquoi ils nous avaient conçus à Lwów, dans ce bain de sang. Ils m'ont répondu : par amour. «Si vous n'étiez pas nés, on n'aurait eu personne pour qui survivre.» Aujourd'hui, je pense à ça. A l'amour et à la haine. A l'horreur des religions. A l'impitoyable arrogance d