Samedi
Où est passé mon anniversaire ?
A Monsieur,
Monsieur Serge J***
rue Béranger n° 11, Paris
sextidi 6 nivôse an CCII
de la Rép. une et indiv.
Je réponds bien volontiers, mon Ami, à l'aimable proposition que vous me fîtes, par l'intermédiaire du Citoyen H***, de recueillir dans votre Journal ma correspondance de la semaine. J'y mets d'autant plus de reconnaissance que la Presse se montra fort oublieuse du bicentenaire de ma mort, survenue, comme j'avais pourtant pris soin de le rappeler aux Agences, un 18 fructidor de l'an XI, soit le 5 septembre 1803 selon l'ancien calendrier. Mais quoi ! quelle illusion funeste m'avait persuadé que, laissant avec mes Liaisons un ouvrage qui sortait de la route ordinaire, mon nom retentirait encore sur la Terre quand j'y aurais passé ?
Certes, on me lit toujours, quoique les Ecoles dédaignassent continuellement d'enseigner la Vertu par les descriptions que je donnais du Vice et qu'elles en fussent d'ailleurs, à ce qu'on m'en dit, fort punies par le dévergondage qui les emporte. Je fus informé, pour mon plaisir, que l'on a tiré de mon Roman plusieurs pièces pour le Cinématographe ou même pour ce magique Télétroscope qui transporte aujourd'hui le Théâtre jusque dans la chambre des particuliers. Mais j'avoue que mon coeur est navré de voir à quel point on oublia qui je fus, et qu'alors, si tant d'Ecrivains ont droit pour eux-mêmes à des années entières d'anniversaires, tels mes successeurs Hugo ou Dumas et jusqu'à votre Cocteau, on laissa l'oubli