Samedi
On a giflé ma grande soeur
Ce soir, Jacques Chirac dîne avec Gerhard Schröder à Berlin. Des agapes en forme de comédie triste pour réaffirmer la solidité de l'axe franco-allemand. J'ai retrouvé par hasard l'extrait d'un discours prononcé à Strasbourg, le 18 septembre 1954, deux semaines après l'échec de la CED (Communauté européenne de défense). La construction européenne est malmenée par Mendès France. «Un souvenir me monte à l'esprit, déclare l'orateur. Le souvenir d'une résistante morte pendant la guerre en prison, mais qui, avant de mourir, avait écrit de son sang sur le mur de la cellule la phrase de l'Apocalypse : "J'ai ouvert devant toi une porte que nul ne peut fermer." Nul, aucun homme, aucune vieille tradition, aucun nationalisme égoïste, aucun chauvinisme.» La résistante, c'était Suzanne, ma grande-tante. L'homme qui se battait pour défendre l'Europe, c'était mon grand-père, Paul-Henri Spaak, futur signataire du traité de Rome. Je ne cesse de penser à lui depuis dimanche soir. L'Europe, c'était son combat, son idéal. C'était ma famille. J'ai l'impression que l'on a giflé ma grande soeur. Comme Cioran qui chuchote à un ami «ne le dites à personne, mais je ne suis pas là», je n'ai plus trop envie d'y être. Pas là non plus depuis cent cinquante jours, Florence Aubenas et Hussein Hanoun. Les chiffres rouges du sinistre compteur s'affichent en haut de l'écran. Il paraît que Florence était à l'école européenne de Bruxelles, dans la classe en dessous de la mienne. O