Le plus ancien membre artificiel connu est une jambe de bois et de cuivre, découverte à Capri, et remontant à trois cents ans avant notre ère. Force est d'avouer qu'avec Matthew Nagle et son implant neuronal, Capri c'est fini. Au XVIIe siècle, Descartes dévoile le vivant mécanique, assemblage de rouages, valves et pistons. Le siècle suivant voit Julien Offroy de la Mettrie publier l'Homme Machine, tandis que l'ingénieur Pierre-Joseph Laurent réalise pour un vétéran des guerres en dentelles un bras articulé qui lui vaut une lettre hommage de Voltaire. Les Lumières rêvaient d'un mécanisme banal, quand notre époque banalise ses rêves, réduit l'imaginaire au routinier machinal. Tous les comptes rendus s'accordent à dire que l'invention de Cyberkinetics Neurotechnology ouvre de nouvelles perspectives. Lesquelles ? Qu'est-ce qui n'a pas déjà été imaginé, décrit, tenté, voire transgressé par J.G. Ballard ou David Cronenberg ?
En fait, la nouveauté réside non dans le projet, mais dans l'application. La soustraction d'un membre autorise l'addition de prothèses, excès par défaut suscitant notre admiration. On s'émerveille qu'un bras artificiel puisse saisir, à croire que le corps, absent d'avoir été trop vu, redevient visible en n'étant plus là. Mais quel corps ? Certainement pas celui de la gifle ou de la caresse, mais un corps objectif, le seul que reconnaît l'anatomie mécaniste. S'agit-il d'une hybridation, tenons-nous avec Matthew Nagle le premier Cyborg ? Non, car ce corps