Vous donnez comme titre à votre livre la Décennie : le grand cauchemar des années 80. Que s'est-il donc passé de si grave dans cette décennie ? On a gardé des années Mitterrand l'idée d'une simple déception politique : la grande promesse sociale convertie en ajustement économique et gestion au quotidien. Mais, au-delà de la gauche de pouvoir, il me semble qu'elles ont été marquées par la «fin sans fin» du politique, une tentative impossible pour y mettre fin, notamment en dépolitisant l'idée de changement. Avant, le changement était un concept politique, lié à un projet, une volonté, une force critique. Les années 80 inaugurent la «naturalisation» du changement : un certain discours idéologique lui donne la forme d'un phénomène mécanique, inexorable, sorte de fatalisme incapacitant. Cette idéologie, qu'on doit à quelques ex-révolutionnaires des années 70, est celle de la mort des idéologies. Ils ont adoubé les jeunes entrepreneurs, chanté l'aventure et la flexibilité, ont organisé le retrait de la subversion sur le seul terrain de la culture. Les années 80 ont vu converger plusieurs lignes enchevêtrées : l'autolimitation du gouvernement, le déterminisme économique intériorisé, la diabolisation de toute critique sociale, la privatisation de l'idée de liberté la plus grande manifestation de jeunes de la première moitié de la décennie a lieu en décembre 1984 pour défendre le «libre droit» d'écouter NRJ et enfin une nouvelle technocratie du bonheur, qui
Interview
La mort des idéologies est l'idéologie des années 80
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par Eric Aeschimann
publié le 4 novembre 2006 à 23h57
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