Pierre Pica est linguiste au CNRS et à Paris-VIII. Avec Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France, et Elizabeth Spelke, de l'université Harvard (Etats-Unis), il étudie le rapport entre calcul, langue et géométrie chez les Mundurucus, une population indigène de l'Etat du Para, au Brésil.
Comment expliquer l'usage de mathématiques «non formelles» chez des peuples qui n'ont pas d'écriture ?
Des travaux de neuro-imagerie et de psychologie ont permis de définir les contours des «mathématiques naturelles». Elles reposent essentiellement sur la capacité à réaliser des formes de symétrie simples, à établir une correspondance entre des quantités et des encoches pratiquées sur un support, et aussi à calculer de manière approximative... Or, ces facultés semblent profondément modifiées lorsqu'apparaît l'écriture ou l'utilisation des mathématiques exactes. Une enquête récente (1) montre que des jeunes enfants qui ne savent pas lire et écrire sont capables d'effectuer des calculs arithmétiques approximatifs : ils savent que 24+30 dépasse 35... mais pas de combien. Il semblerait que nous ayons tous à la naissance cette faculté de calcul approximatif.
Le système de comptage des Mundurucus, comme celui de beaucoup de peuples sans écriture, est basé sur le corps : une main, deux bras... Ils parviennent à effectuer des opérations d'addition et de soustraction exactes pour des nombres allant de 1 à 5... Ensuite, ils passent à «beaucoup», et le calcul se fait de manière approximative, comm