Menu
Libération

Plus que jamais proche de Camus

Article réservé aux abonnés
par Benjamin Stora
publié le 3 novembre 2007 à 1h16

Samedi

Exil chez soi

Je rentre de Stockholm, où j'étais invité à donner une conférence sur Camus, qui reçut, en 1957, le prix Nobel de littérature. C'était il y a cinquante ans. On a oublié que cette annonce a été un coup de tonnerre, car le prix Nobel couronne traditionnellement une oeuvre déjà achevée. Parmi les réactions immédiates, des critiques acerbes. Blessé, Camus prononce à Stockholm un discours aussi beau que prophétique, le 10 décembre 1957 : «Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.» Puis la polémique éclate. A un jeune étudiant algérien qui l'interpelle, Albert Camus aurait répondu :«Je crois à la justice, mais pas avec les bombes. Entre ma mère et la justice, je préfère ma mère.» Il se défend, dit qu'il n'a pas dit cela. Aujourd'hui, quel Méditerranéen ne prononcerait ces phrases ? A la fois terriblement «pied-noir», et terriblement algérien, Camus adopte cette position de proximité et de distance, de familiarité et d'étrangeté avec la terre d'Algérie qui dit une condition de l'homme moderne : une sorte d'exil chez soi, au plus proche. Albert Camus est aussi celui qui refuse l'esprit de système et introduit dans l'acte politique le sentiment d'humanité. Il écrit, en janvier 1956 : «Quelles que soient les origines anciennes et profondes de la tragédie algérienne, un fait