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Libération

Petite matriochka

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par Shira Geffen
publié le 10 novembre 2007 à 1h25

Samedi.

Une tache pour la vie

Je suis à l'aéroport. J'attends le vol pour Israël. En face de moi, une femme âgée, cheveux grisonnants, foulard de soie autour du cou. Ma mère aurait dit : «On voit que c'était une belle femme.» Ma mère est de l'autre côté de la mer, mais ses phrases sont ici avec moi. Quand je vois une femme âgée et belle, j'entends l'éternelle phrase de ma mère : «On voit que c'était une belle femme.» Et quand je vois quelqu'un éplucher une grenade, j'ai envie de lui dire : «Fais attention à ne pas te salir, une tache de grenade est une tache pour la vie.»

Ma mère et moi c'est comme les matriochkas, elle est en moi, je suis en elle, de plus en plus petites, jusqu'à la dernière qu'on ne peut pas ouvrir. Je me souviens qu'enfant, ça m'énervait. Je me sentais trompée. J'ouvrais vite toutes les matriochkas creuses pour arriver jusqu'à la plus petite, l'extraire et la projeter par terre pour qu'elle s'ouvre. Mais souvent la coquine roulait sous un grand meuble et je ne la retrouvais plus. Elle est sûrement dans un coin obscur et poussiéreux, petite, en bois, impossible à ouvrir.

Dimanche.

Les yeux qui brûlent

Je conduis mon fils au jardin d'enfants, sur mon vélo. Il a un petit siège à l'avant. Assis comme un roi. C'est un roi. Je roule sur le trottoir qui est désert à cette heure-ci. Mon fils montre un chien. Je lui dis : «C'est un chien.» Il se tait. Quand nous traverserons et arriverons au jardin d'enfants, ses tout petits pieds toucheront