Mes parents se disputaient en catalan, et comme c'était un ménage bien assorti, ni mes frères ni moi n'avons appris cette langue. Si mes parents avaient été moins heureux, ou si j'avais grandi dans un pays sans dictature fasciste, il aurait peut-être fallu traduire ce texte du catalan, très parlé (dans sa variante lexicale valencienne) non seulement par mes parents, mais par la plupart des habitants d'Elche, la ville proche d'Alicante où je suis né. Mais dans les années 50, quand j'étais encore un potache, en Espagne la seule langue possible («la langue de l'Empire», disaient nos généraux) était le castillan (l'espagnol). Et ce n'est qu'en Catalogne, et dans certains recoins de la Galice et du Pays basque, qu'a persisté, sous Franco, l'usage dans la sphère privée des langues autochtones.
Manifeste. A partir de 1975, avec l'instauration progressive de la démocratie, les Espagnols ont pu voter, voir des films auparavant censurés, être ouvertement communistes ou homosexuels. Et aussi parler, lire et faire des études en catalan, en galicien, en basque. Depuis le début de l'été, on discute beaucoup du risque que court la langue majoritaire, le castillan, de perdre sa place dans certaines régions. Un manifeste pour la langue commune, rendu public en juin, fait l'objet d'une vive polémique, et il ne se passe pas de jour sans que le sujet soit abordé dans les médias ou les conversations. Défendu ou attaqué, il est utilisé comme arme de destruction massive par certains commenta