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Électorat, Élections, Présidentielle

Le Front national face au défi Fillon

Lui aussi surpris par le résultat du premier tour de la primaire de droite, le FN doit s'adapter à un adversaire inattendu, et peut-être plus menaçant que d'autres.
Inauguration du QG de campagne de Marine Le Pen, le 16 novembre. Photo Laurent Troude pour Libération (Photo Laurent Troude pour Libér)
publié le 21 novembre 2016 à 11h01

Eux non plus ne l'avaient pas vu venir. Au Front national comme ailleurs, l'incroyable score de François Fillon a surpris. Alors que la primaire de droite pourrait bien désigner le futur adversaire de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, c'est sur le duo Juppé-Sarkozy que la direction frontiste avait jusqu'à présent concentré ses flèches. Juppé ? Un homme du passé, représentant d'une droite «molle», conspué en outre par l'extrême droite pour de supposées complaisances envers «l'islam politique». Sarkozy ? «Ce serait le meilleur adversaire pour nous, commentait Marine Le Pen il y a quelques semaines. C'est un invertébré de la politique. Il a quelques corsets — Buisson, Guaino — mais dès qu'on les lui retire, c'est du gloubi-boulga.» Sur François Fillon, rien ou pas grand-chose... jusqu'à aujourd'hui. Car voilà le FN forcé de cogiter sur l'ex-«troisième homme», devenu dimanche le favori de la course.

François Fillon aura-t-il sur l'électorat frontiste le même effet répulsif qu'un Sarkozy ou qu'un Juppé ? À la différence de ces derniers, l'homme n'a jamais eu affaire à la justice. Surtout, il s'appuie sur un discours charpenté dont ressortent la revendication de ses «racines chrétiennes», et l'attachement au «roman national». Ancien séguiniste, Fillon n'hésite pas à se présenter comme un «souverainiste»; dénonçant l'«impérialisme américain» et le «totalitarisme islamique», il est en outre, de tous les candidats à la primaire, le plus favorable à un rapprochement avec la Russie de Vladimir Poutine. «Des mots», peut répondre le FN. Certes, mais qui sonnent agréablement à bien des oreilles frontistes.

«Le plus ultra-libéral de tous»

Il est tout de même un registre où le candidat se distingue fanchement de Marine Le Pen : l'économie, où le franc libéralisme de François Fillon tranche avec la ligne composite du Front national — «ni libérale, ni pas libérale», selon l'étonnante définition un jour fournie par Florian Philippot. Lundi matin sur i-Télé, c'est d'ailleurs sur le sujet que ce dernier a attaqué l'ex-Premier ministre : «François Fillon incarne le camp mondialiste ultra-libéral, c'est le plus ultra-libéral de tous. Quand on veut supprimer l'ISF et augmenter la TVA, supprimer 500 000 fonctionnaires, remonter le temps de travail à 39h… Tout cela tranche avec le programme de Marine Le Pen. Sans oublier qu'il est parfaitement comptable du bilan de Nicolas Sarkozy, puisqu'il a été Premier ministre pendant les cinq ans du quinquennat». De quoi limiter les reports de voix de la gauche dans l'hypothèse d'un second tour Fillon-Le Pen en 2017, espère-t-on au FN.

Reste qu'en critiquant prioritairement son libéralisme, le parti s'expose à une prévisible contre-attaque. Car de son côté, voilà déjà longtemps que la droite reproche à Marine Le Pen de défendre un irréaliste programme «d'extrême gauche» en matière économique. Cette stratégie nourrit les querelles internes du parti autour de son identité politique — entre libéralisme et étatisme, conservatisme ou indifférence sur les questions sociétales, laïcisme ou promotion des «racines chrétiennes». Dimanche soir, plusieurs proches de Florian Philippot moquaient d'ailleurs le faible score du candidat chrétien-démocrate Jean-Frédéric Poisson, proche de la Manif pour Tous. Des attaques à usage interne, tant y était évidente la référence à Marion Maréchal-Le Pen, elle-même tenante d'une ligne droitière — et qui voyait en Jean-Frédéric Poisson_ «le seul candidat avec lequel une alliance serait possible»_.

Dans l'immédiat, toutefois, le FN ne manque pas de motifs de satisfaction. Comme le parti le leur avait demandé, les sympathisants frontistes semblent être restés à l'écart de la primaire de droite. Selon un sondage Elabe, ces derniers ne représentaient que 8% des votants de dimanche, contre 15% pour les sympathisants de gauche. Le parti d'extrême droite peut par ailleurs espérer récupérer une partie des électeurs de Nicolas Sarkozy. Ce dernier a bien appelé dimanche à rejeter «les extrêmes» ; mais cet avertissement intervient après trois mois d'une campagne radicale, souvent indiscernable du discours frontiste. «Il nous fabrique de nouveaux électeurs à chaque fois qu'il ouvre la bouche, se félicitait récemment Sébastien Chenu, l'un des cadres de l'équipe de campagne de Marine Le Pen. Ses militants sont si survoltés que si ce n'est pas lui qui gagne la primaire…»